J’AI DEUX AMOURS, LE DESSIN ET PARIS ! Sans amis, presque sans argent, sans parler un mot de français, une valise à la main, Satomi Ichikawa débarque à Paris de son Japon natal au début des années 70. C'est le coup de foudre. Elle décide de rester à tout prix, le plus longtemps possible. Elle prend des cours de langue, devient jeune fille au pair. Un jour, en se promenant, elle tombe en arrêt devant une vitrine de libraire qui présente un livre illustré du peintre Maurice Boutet de Monvel. C'est la révélation : « C'était fin, délicat, vivant, plein d'humour, spirituel ! Je l'ai acheté tout de suite. » Elle se met à dessiner elle aussi, sans avoir jamais pris aucune leçon, parce qu'elle sent que c'est sa vocation. Son premier livre est publié en Angleterre et aussitôt traduit en cinq langues : « C'était pas bon du tout, enfantin. Alors j'ai continué, pour faire mieux. » Petit à petit, à force de persévérance, de visites au zoo, à la crèche ou au cours de danse, carnet de croquis à la main, son trait s'affirme, son inspiration se précise. Elle finit par dénicher, chez les antiquaires et les bouquinistes, les oeuvres complètes de Boutet de Monvel (deux albums de « Chansons de France » et de « Fables » de La Fontaine sont réédités depuis à l'Ecole des Loisirs). Et elle vient juste d'écrire son premier texte directement en français Cette foi douce et passionnée dans les lieux décisifs et les découvertes marquantes, on la retrouve dans tous les albums, comme on y retrouve les voyages et les amitiés de Satomi : Le château abandonné des « Amis du vieux château » est un vrai château de Touraine dans lequel les propriétaires, des amis américains, avaient organisé une grande fête avant d'être contraints de le vendre. La grande maison provençale de « La vraie place des étoiles », c'est une maison de Menton, ancienne propriété d'autres amis américains. Le Docteur John de « Nora et le bébé canard », c'est un excentrique anglais, un vieux médecin à la retraite qui consacre tout son temps à recueillir les animaux du voisinage, blessés, maltraités ou abandonnés. Et Benji, le mouton de « Nora et le mouton glouton » et de « Aussi loin que tu voudras ! » n'est autre qu'un des pensionnaires du Docteur John venu se coller affectueusement à lui alors qu'il traversait un pré et dans lequel le bon docteur a tout de suite vu la réincarnation de son cousin mort ! Satomi Ichikawa a passé beaucoup de temps à les fréquenter, à les observer et à les aimer. Quand elle aime un endroit, elle y retourne dix fois. Quand une personne la touche, elle devient son amie. Nora, la petite fille de ses histoires, c'est elle : « Je suis très enfant, je collectionne les poupées et les ours en peluche, j'aime m'amuser, m'émerveiller, j'arrive sur les autres comme un papillon sur les fleurs ! Et je suis toujours célibataire ! » « Tanya la ballerine », c'est toujours elle : « Je passe toute la journée assise à mon bureau, je suis très ermite, si je ne faisais pas de danse, je serais morte ! » Ce n'est pas un hasard si tous ses livres sont dédiés à quelqu’un. Ce qui domine chez Satomi Ichikawa, c'est la reconnaissance, au double sens de découverte et de gratitude. « Tout ça, je le dois à Paris, répète-t-elle. C'est à Paris que je suis vraiment née ! » Sophie Chérer. Extrait de l’Album des Albums, l'école des loisirs, 1997