J’ai toujours aimé créer.
Si ma vie ne passe pas par le «faire», le «construire», je m’y ennuie profondément. C’est le sens que j’ai trouvé à mon existence. Pas tant pour laisser une trace mais plutôt parce que cette activité me permet de vivre comme je l’entends et me laisse au final un sentiment de plaisir mêlé d’utilité.
Il se fait que j’aime dessiner, écrire, être seul de longs moments, écouter la radio, faire une sieste lorsque j’en éprouve le besoin, regarder par la fenêtre, grignoter, lire, marcher dans les rues, aller au cinéma à la première séance, converser avec des inconnus, et que bien peu de métiers offrent cette liberté de mouvements.
Mes premiers souvenirs sont des images. Sur la boîte de couture de ma mère ou sur les murs du salon de mes voisins. Des reproductions de toiles de peintres.
Après une scolarité fugitive et divers métiers, j’ai créé des affiches pour le théâtre, pour un opéra, fait de la sérigraphie, de la publicité, tâté de la peinture jusqu’au jour où j’ai découvert Les Trois Brigands de Tomi Ungerer.
Ce fut mon étincelle. Mon levain.
Ce livre était à des lieues des quelques livres que j’avais pu feuilleter lorsque j’étais enfant. Il y avait dans ces pages une résonance mystérieuse qui allait bien au-delà des mots et des images. Je pense que le malheur de cette littérature vient du fait que ces livres ne sont pas achetés par les premiers intéressés mais par des adultes aux idées tout arrêtées sur ce que l’on peut donner ou non aux enfants. D’où ce trop plein d’histoires sans style, convenues et rassurantes pour l’adulte.
J’aime le travail des auteurs qui s’éloignent de ces idées, où le souci du «beau dessin» est absent. Où l’esprit d’enfance l’emporte sur le côté enfant. J’aime les albums où la tendresse ne vous saute pas au visage dès le titre.
Ungerer publiant à l’école des loisirs, je ne voulais être que là. Ensuite, ce n’est qu’une histoire de rencontres. Il se fait que Christiane Germain était la bonne personne. Je le pense sincèrement. Encore aujourd’hui. La chance était au rendez-vous.
J’ai le plaisir retrouvé de créer des images sans technique arrêtée. Il faut beaucoup de temps et de travail acharné pour se constituer son propre langage, digérer ces propres influences, se libérer de ses peurs. Et lorsqu’il est enfin là, sur l’établi, il y a une ivresse, une joie enivrante de l’utiliser sans compter. C’est un tel flot qu’il est bien difficile de le canaliser pour ne pas s’y réfugier du monde. Mes images nouvelles renouent pour certaines avec mon ancien métier d’affichiste ou bien lorgnent du côté de la peinture.
Tous ces albums ne seraient pas nés s’il n’y avait eu sur mon chemin toutes ces belles rencontres que sont Peter Elliott, Louis Joos, Claude K. Dubois, Régis Lejonc, Neil Desmet, Riff, Stéphane Girel, Edith, Pascal Lemaitre et les autres… Ces livres en commun m’ont autant été inspirés par ce qu’ils sont que par ce que je suis ou étais.
En fait, le style m’importe plus que le fond. Tout est affaire de style. C’est comme dans la vie! C’est lui qui fait la différence.
Sans style, l’histoire sera quelconque et bien moins vivante qu’une seule bribe de conversation entendue dans la rue.
Quant à mes histoires, elles naissent si mystérieusement que j’ai bien de la peine à les commenter.
Extrait du catalogue Pastel, printemps 2008