JE CROIS QUE J’AIME TOUT C'est une immense maison rose au milieu des vignes des coteaux du Vaucluse. Il y a une cabane dans le jardin, un hamac blanc, une piscine. Les pots de fleurs de la terrasse sont peints de couleurs vives par les enfants. S'il est vrai que les créateurs ressemblent à leurs créations, ils ressemblent aussi aux endroits qu'ils ont choisi d'habiter. Frédéric Stehr est comme sa maison, comme ses dessins, ouvert, hospitalier, paisible, optimiste, la voix douce et l’œil malicieux. Si d'aventure vous vous arrêtez, sur la route des vacances, pour peaufiner son portrait, il vous invite à rester dîner en famille, rester dormir, rester bavarder... Et si vous repartez pourtant, ce sera les bras chargés de cadeaux, affiches, dédicaces, cartes d'anniversaire. Calinours, Gentiloup, Bouboule, Foufours, Gentigre : les noms de ses personnages le disent assez clairement, et leur allure duveteuse le confirme, ce qui prédomine chez Frédéric Stehr, c'est la tendresse. « Quand j'ai commencé, je voulais écrire des histoires grinçantes, reconnaît-il pourtant. Et puis, tout naturellement, j'en ai fait de douces. » Par tempérament, à coup sûr, parce qu'il pense aussi, chaque fois, à des enfants particuliers quand il compose, et cherche à imaginer leurs réactions. Tout naturellement aussi, il s'est attiré le concours et la fidélité d'auteurs débonnaires de textes mélodieux, Irène Schwartz pour la série des « Mariette et Soupir », Alain Broutin pour celle des « Calinours », et son propre frère Gérald. « J'aime beaucoup ce nez, moi ! J'aime beaucoup la neige, j'aime beaucoup notre terrier, j'aime beaucoup beaucoup maman, j'aime beaucoup Mariette. Je crois que j'aime tout » exulte Soupir. Et Calinours de renchérir : « Moi je m'appelle Calinours et je suis toujours content, parole d'ours! » Mais ce bonheur affiché, que Frédéric Stehr met en lumière à petits coups de simples crayons de couleur, n'a rien à voir avec la mièvrerie. Pour peu qu'on y regarde de plus près, avec le souci du détail et le sens du panorama qui le caractérisent aussi, des thèmes forts et graves jalonnent les albums : l'indépendance, la liberté, l'entraide, la victoire sur la peur et les angoisses de la séparation. Il est loin le temps où Frédéric, sauvage et solitaire, fuyait les salles de classes et les emplois réguliers pour aller crayonner dans les jardins publics. Loin déjà le jour où après divers petits boulots, intérimaire dans un bureau de « l'Ecole des Loisirs », il eut le déclic et replongea dans sa vieille passion pour le dessin. Peut-être y repense-t-il parfois, quand il part en pleine forêt, son carnet de croquis sous le bras, se plonge avec ravissement dans des encyclopédies d'histoire naturelle, ou constate sur ses invités la contagion de son harmonie familiale. Peut-être pense-t-il à cette phrase de Jean Giono : « Je ne sais pas qui a fait croire que les miracles éclataient comme la foudre? C'est pourquoi nous n'en voyons jamais. Dès qu'on sait que les miracles s'accomplissent sous nos yeux, avec une extrême lenteur, on en voit à tous les pas. » Sophie Chérer. Extrait de L’Album des Albums, l’école des loisirs, 1997.