LES DIPLODOCUS A ROULETTES Jusqu'à une époque pas si éloignée que ça, on ne savait rien sur Alan Mets, et si vous lisez ce portrait, vous n'en saurez guère plus. Car le charme d'Alan Mets est fait de silence, de non-dit, de mystère, de pudeur, de mutisme et de discrétion. Ce n'est pas que cet homme attachant, au rire facile et à la gentillesse légendaire, n'ait rien à dire ou qu'il ait quoi que ce soit à dissimuler. C'est un dévoreur d'histoires qui craint d'importuner les autres avec des détails sans intérêt, un contemplatif en blouson de cuir qui trouve que rien dans sa vie ne mérite qu'on s'y attarde. Il a tout le temps plein de romans à conseiller, des aventures de Joseph Conrad, des livres pas gais d'Eugène Zamiatine. Parfois il a oublié les titres. Parfois aussi il a oublié le livre lui-même dans le filet à bagages d'un train. C'est sans doute pour que les autres en profitent, sans qu'il soit obligé de leur faire l'article. Un jour, pourtant, Alan Mets a vaincu sa timidité. Au sous-sol du célèbre restaurant parisien « La Coupole » se tenait une conférence avec Massin, Doisneau et Tomi Ungerer. Dans l'assistance, il y avait un jeune homme assez timide avec son carton à dessin sous le bras. A la fin, une mouche l'a piqué, et il est allé voir Tomi Ungerer qui a regardé les dessins, a téléphoné à son éditeur et est devenu le parrain du jeune homme. Ce jeune homme, c'était Alan Mets, mais surtout, ne le répétez pas. Avant de dessiner, de peindre et d'écrire à plein temps, Alan a fait des études de philo, de cinéma, et aussi beaucoup de photos : « Des trucs très personnels, donc c'est pas intéressant. A la fin, je ne regardais même plus dans l'objectif, je me baladais et j'appuyais. Je ne sais pas ce que je photographiais, d'ailleurs je ne les ai pas tirées. C'était juste pour appuyer. Aujourd'hui, quand il mijote ses livres, il aime retrouver des sensations d'enfance, ces histoires de pirates, d'explorateurs ou de détectives qui étaient si captivantes qu'on se moquait pas mal de ne rien y comprendre ! «Ce que je préfère, dit-il, ce n'est ni l'écriture ni le dessin, c'est le livre. L'histoire. Comment ça tourne. Le côté étrange. La magie. C'est comme le Mécanno. Quand j'étais petit je jouais au Mécanno. Il y a plein de vis, plein de choses pénibles et ennuyeuses à faire. Mais tout d'un coup, merveille ! Tu obtiens un diplodocus à roulettes ! Après, assez vite, tu ne sais pas quoi en faire. Il ne reste plus qu'à tout redémonter. Il faudrait pouvoir démonter aussi les livres. » Quant à savoir si Teuteu et Zeuzeu, Lolotte, Bazar ou Fleur, ses héros loufoques et survoltés aux grands yeux ronds et aux sourires tendres, se laisseraient facilement démonter... Pour l'instant, le vrai « Chat orange » qu'on a offert à Alan après la parution de son premier album coule des jours tranquilles à Ménilmontant : «Il paraît que ça ne veut pas dire «Ménil-qui-monte» mais «Ménil mauvais-temps», note Alan. Pourtant hier soir, j'ai remonté la rue à vélo et c'était l'horreur.» Mais ça, c'est parce qu'il fume trop. Sophie Chérer. Extrait de L’Album des Albums, l’école des loisirs, 1997.