L'abécédaire de Catharina Valckx
B comme Briller
Ma mère remodelait la banale réalité pour la faire briller. Elle inventait beaucoup. Moi aussi. Quand je rentrais de l’école, j’imaginais en route ce que j’allais pouvoir raconter de captivant… J’ai eu, je crois, à une certaine époque un petit problème de mythomanie. Je racontais tellement de bobards à mes copines que je finissais par me mélanger les pinceaux. Cela m’arrive encore quelquefois, c’est très ancré dans mon système. J’ai toujours inventé des histoires.
C comme Chichis
J’ai quatre sœurs et je pense que ma mère culpabilisait un peu de n’avoir que des filles. Elle nous a élevées un peu comme des garçons : pas de chichis, cheveux courts, randonnées sac au dos. D’un autre côté, elle nous stimulait énormément, elle nous poussait à peindre, à dessiner… Elle avait beaucoup de fantaisie, aussi bien dans la création manuelle qu’à l’oral.
E comme Enfance
Je suis née dans une petite ville des Pays-Bas. Mais mes premiers souvenirs remontent à la courte période où mes parents, avec trois très jeunes enfants, ont habité Genève. Je me souviens de la vue sur la montagne depuis la terrasse. Mes parents sont allés ensuite vivre en France : à Bièvres, un village très près mais aussi très loin de Paris. C’est là que j’ai vécu mon enfance.
G comme Guerre
Mon père était complètement traumatisé par la guerre. Il était physicien, il faisait de la recherche dans la fusion nucléaire. La première chose qu’il a faite dans la maison de Bièvres, c’est installer un refuge pour sa famille dans la cave. Avec douche, lits, bibliothèque…
I comme Illustration
Il y a des illustrateurs que j’admire énormément, comme William Steig, Kitty Crowther, Marc Boutavant… qui sont nés avec un crayon dans la main. Pas moi. Ce n’est que depuis peu que je commence à sentir une vraie liberté dans l’expression graphique. Si cela perdure, vous imaginez le bonheur !
L comme Liberté
Après avoir fait une école d’art, j’ai exercé tant bien que mal le (non-) métier
d’artiste pendant des années.
Le problème, c’est que tout m’intéressait et que je ne choisissais pas.
J’aimais la peinture abstraite, mais aussi bien la peinture figurative. Je faisais des installations, des petits films, du conceptuel… La liberté avec un grand L est bien trop vaste pour moi, je m’y perds ! J’étais donc relativement perdue et fauchée quand un événement a changé ma vie, je suis devenue maman. C’est grâce à mon petit Paul (très grand amateur de livres) que j’ai découvert le monde de la littérature jeunesse. J’ai eu l’impression d’arriver enfin chez moi.
M comme Mathématiques
À l’école primaire, j’étais assez malheureuse. L’école de filles de Bièvres était avant 1968 encore très xixe siècle, discipline quasi militaire et punitions à n’en plus finir. Comme j’étais nulle en orthographe et que je manquais de vocabulaire (nous avions un certain retard parce que ma mère ne parlait pas français, et que mon père évoluait dans d’autres sphères), j’ai toujours préféré le calcul. Je n’aurais jamais pensé écrire. J’aimais les maths et la peinture. Je voulais devenir artiste peintre.
P comme Première fois
Je n’ai même pas pensé à illustrer une première histoire pour un
auteur. J’ai écrit et illustré un texte – c’était Le roi et la poule
– et j’ai eu la très grande chance que ce livre soit publié à l’école
des loisirs. L’écriture a été d’emblée un
plaisir. Peut-être parce que j’avais toujours écrit sans aucune
ambition professionnelle, pour la pure magie d’aligner des mots, de
faire vivre des personnages, des situations, de faire rire…
R comme Raison
Après un bac scientifique, personne ne m’a conseillée d’être
raisonnable et de faire des études sérieuses. Je me suis donc
inscrite dans une école d’art au fin fond de la Hollande, à
Groningen, parce que cette petite ville me plaisait et que
c’était très très loin de chez moi (9 heures de train de Paris).
C’est là que j’ai commencé à écrire. À 18 ans. Je n’avais pas le
téléphone, j’écrivais des lettres à mes amis et ma famille, et toutes
sortes de textes : des fragments, des histoires courtes, dans des
cahiers. J’écrivais quand le français me manquait.
J’ai toujours trouvé le français plus beau que le hollandais.
S comme Sauvetage
Après quelques années douloureuses dans un collège de
jeunes filles à Versailles, j’ai atterri vers l’âge de 14 ans au
collège international de Sèvres. Cela m’a sauvée. C’était comme
plonger dans une eau tiède. Des profs qui nous aimaient, qui aimaient
leur boulot. Et une incroyable classe, mixte, complètement
cosmopolite. J’y ai passé deux ans qui m’ont remise d’aplomb.
Extrait du catalogue Mouche et Neuf de l'école des loisirs du printemps 2008